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un poète. Et c’est précisément ce mélange imprévu qui constitua son unique originalité, toute naturelle. Même dans la conversation il apparaissait sous ce double aspect et sa conversation était topique, parce que toute sa vie il ne causa que pour raconter un scénario, un dénouement, une scène, d’un de ses contes, drames ou romans, non pas dans le but d’éblouir, mais afin de s’exciter lui-même et de provoquer ce qu’on pourrait appeler l’inspiration de la parole. D’autres ont recours aux tabacs, aux alcools, lui, c’est en parlant, en se grisant de sa propre verve, qu’il trouva des mots, des situations, des images, rencontrant parfois, au tournant d’une phrase, une formule longtemps cherchée, complétant un canevas, précisant un symbole — infatigable araignée qui court toujours à travers sa toile pour l’agrandir et la parfaire en soleil de dentelle.

On pouvait donc considérer ses conversations comme les brouillons de ses œuvres.

Eh ! bien, il y apparaissait tour à tour et en même temps ironique et lyrique. Combien de fois il interpréta et joua le Bonhomet, ce type de transcendantale sottise qu’il avait créé et dont il était si fier, Bonhomet, c’est-à-dire le bourgeois, l’éternel ennemi, mais autrement maniaque que Bouvard et Pécuchet, avec des manies non quotidiennes, des manies rares et cruelles comme