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du phonographe, du microphone, s’unissant pour la construction mécanique d’une femme, Ève de rouages et de ressorts savamment articulés. Ainsi Villiers voit jusqu’au bout. Il sait par avance les sorcelleries de la science moderne, le point où elle rejoindra les sciences occultes devenues des sciences positives. Cette Ève est la sœur de l’homoncule. Edison et les mages forment une équation. L’ésotérisme et la physique sont la même chose.

Matière littéraire toute neuve, dont Villiers fut l’inventeur. Il créa une sorte de fantastique nouveau, le fantastique scientifique, en sous-entendant tout le temps qu’il faut se hâter, que le fantastique d’aujourd’hui sera la réalité de demain. Et il devina même le détail : dans cette Claire Lenoir par exemple, dont les prunelles cadavériques offrent la tête saignante de son amant, image qui s’éternise, ne sent-on pas déjà des imaginations qui présagent et avoisinent les rayons Roentgen, la photographie des rêves et de l’âme, toute la féerie qu’en ce moment-ci, la science réalise ?

Vraiment les poètes sont toujours les visionnaires et les antiques prophètes. Déjà Gautier, par une rare divination, imaginait, dès 1847, le phonographe futur, quand, ayant entendu Mlle Mars, il aspirait, dans un de ses feuilletons, au moyen de conserver ses accents pathé-