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Seulement un peu de ciel, « le ciel qu’on voit ». Or, sur le mur vide, il y a un crucifix. Est-ce l’ami du malheur qui seul demeure ? Lui du moins pardonne toujours ! On espère, on se souvient, on l’a prié jadis dans sa petite enfance. Alors voici qu’un autre acteur entre en scène : l’aumônier, qui a deviné l’œuvre de salut possible. Il parle ; il donne à lire un catéchisme. Et l’homme réprouvé qui est un grand poète, dès qu’il se retrouve seul, se jette à genoux, ruisselle de larmes devant le Christ du mur vide. Jésus lui parle… L’âme répond, s’élève, hésite. C’est une lutte entre l’âme et Jésus, une lutte entre Jésus et un Pascal enfant. Et, dans cette crise sublime naissent pour l’éternité les poésies de Sagesse, le plus pathétique aveu de l’âme de toute la littérature moderne ; des oraisons comme Dieu et les hommes n’en avaient jamais entendu. Là surtout fut la grande originalité du poète : il écrivit — comme on prie !

Sa poésie a la simplesse d’une prière et, comme telle, elle fut accessible à tous. Il appartient à ce qu’on pourrait appeler, parmi les poètes, la race des chanteurs, ceux dont l’art est spontané, jaillît en source vive, dès qu’ils se frappent la poitrine. Un chant pareil a le rythme même de leur cœur. Tel Lamartine dont Sainte-Beuve écrivait : « C’est un grand ignorant qui ne sait que son âme. »