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vont ailleurs, comme les vagues dans la mer !

En dehors de ce fait momentané, il y a un fait éternel : c’est la beauté, que nul âge ne fanera, de quelques-uns de ses poèmes : Les Fleurs, l’Apparition, l’Hérodiade, l’Après-midi d’un faune, et aussi de quelques poèmes en prose, si miraculeusement parfaits : Plaintes d’automne, Frissons d’hiver, Le Phénomène futur — c’est-à-dire presque tout le volume qu’il a appelé joliment Florilège, en triant et publiant ainsi quelque chose comme la définitive Anthologie de lui-même, sa flore choisie. Et c’est une flore, en effet, d’un art souverain et durable, faisant suite aux Fleurs du mal de Baudelaire. Celles-ci étaient déjà des fleurs de décadence, germées du bitume parisien, bouquet sentant le soufre et le sang, floraison satanique et cruelle, fleurs nées la nuit, mais quand même naturelles encore.

Les poèmes de Mallarmé sont des sensitives de serre, de la serre chaude d’un cerveau en fièvre, plantes à la croissance artificielle et violentée, fleurs de chimie, fleurs comme écloses d’un miroir, rares orchidées qui contiennent tout le Rêve en leur forme équivoque, aux interprétations diverses, et dont on ne sait si elle est un sexe ou un bijou.