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avec le sensitif, tragique et exaspéré coloriste des Fenêtres et de l’Azur :

« Je suis hanté ! L’azur ! L’azur ! L’azur ! L’azur ! »

Or, ici encore, ce sont les éléments extérieurs qui vont nous faire mieux comprendre l’œuvre. Ce cri d’une cervelle près d’éclater sous la cruauté d’un bleu implacable, c’est le poète jeté en plein Midi, allant vivre à Avignon durant des années (envoyé par l’Université), au sortir des brumes, des grises fantasmagories de Londres où il avait couru, sitôt adolescent et libre. Là, de secrètes affinités, la loi de son œuvre encore muette, sa meilleure destinée, l’avaient tout de suite aimanté. Il fallait qu’il se perfectionnât dans la langue anglaise, parce qu’il était voué à nous donner un jour ses admirables traductions de Poë, parce que surtout il devait allumer son âme à cette âme un peu jumelle… Poë avait donné la vraie formule pour le poème : « Il faut une quantité d’esprit suggestif, quelque chose comme un courant souterrain de pensée, non visible, indéfini… »

Cela équivaut à dire qu’il faut que le poème donne à rêver sur un sens à la fois précis et multiple ; ou encore qu’il ait en même temps plusieurs sens superposés. C’est peut-être ce qui caractérise le plus sûrement les grandes œuvres. Ce signe se trouve dans Poë. Il se