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torses d’un Corrège ou des grasses chairs fleuries d’un Rubens, ce nu décadent qui doit se percevoir, pour ainsi dire, sur un centimètre carré, comme un bout de l’étoffe humaine érailléé par les siècles, non plus sensuel, ni sexuel, mais plutôt raviné de vices héréditaires, marbré de péchés anciens, un nu douloureux et mystique, où se devinent l’éternel regret de l’Éden et surtout les détraquements de la névrose, l’épuisement du sang en de trop chères délices…

De même, sur un centimètre carré de la littérature des Goncourt, on pourrait reconnaître le nu du siècle. Or, cela était inconnu dans le roman, qu’on n’imaginait pas capable de ces résultats où s’accroît son propre domaine. C’est-à-dire qu’il est devenu, grâce à eux, une sorte d’œuvre scientifique. L’affabulation consiste à arranger la réalité. L’artiste dispose les acquêts du collectionneur. Le roman est aussi de l’histoire. C’est une clinique tenue par un poète. Est-ce que Charles Demailly, Germinie Lacerteux, Mme Gervaisais, Chérie, Renée Mauperin, ne sont pas des passants et des passantes de notre époque, malades de la maladie qui nous tourmente tous plus ou moins ? Êtres impressionnables, sensitifs, que la musique fait pleurer, qui aiment les fleurs et les baisers tristes ! Tous ces personnages sont des nerveux ; ils sentent s’étirer en eux le terrible écheveau, et