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s’écrie : « Oui ! oui ! le moderne, tout est là !… Tous les grands artistes, est-ce que ce n’est pas de leur temps qu’ils ont dégagé le Beau ? »

Or les Goncourt avaient commencé par aimer le XVIIIe siècle.

Est-ce par aristocratie, amour d’une civilisation joliette, enrubannée et poudrée, pitié pour celles dont le sang tacha les falbalas ?

Est-ce par atavisme, affinité avec ce grand-père de l’Assemblée nationale et les autres ascendants qui furent des gentilshommes de l’ancien régime ?


Oui ; mais ce fut aussi pour une autre raison, plus péremptoire et qui décida de tout. Par elle s’explique leur œuvre et la capitale innovation qu’ils apportèrent dans le roman : les Goncourt étaient nés collectionneurs. Or on n’est pas collectionneur par un penchant de l’esprit, une aptitude mentale. Cette disposition est un phénomène nerveux. Tous les collectionneurs sont ce que les physiologistes appellent des « tactiles », ayant l’esthétique du toucher, et réceptifs d’impressions d’art par le bout des doigts. Les Goncourt, de plus, avaient la vue aussi sensibilisée que le toucher. Même ils commencèrent par dessiner, faire de l’aquarelle, s’orienter vers une carrière de peintres. Aujourd’hui encore ne comprend-on pas, à voir l’œil extraor-