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le même effet, par des coulées sans accent, alternées avec des formes décisives qui en émargent ; d’étranges patines, vertes et noires, donnent l’air à ces bronzes d’avoir séjourné durant des siècles parmi la houille et les poisons… Tout est vague, inquiétant, complexe, fuyant ou formel, dans le marbre ou le bronze, comme des pensées dans le cerveau ou les êtres et les objets dans la Nature.

Et c’est la dernière preuve qu’un tel artiste de génie opère vraiment d’un bout à l’autre, conformément aux procédés de la Nature, qu’il s’égale à elle, qu’il est aussi une force de la Nature. On en trouve le symbole, fixé par lui-même, dans cette esquisse de la naissance d’Ève, selon la version de la Genèse. Ève est représentée naissant comme la Nature fait naître, les bras repliés, recroquevillée, dans la position d’avant la vie, celle prise par l’enfant dans le sein de la mère… M. Rodin l’a fait sortir telle du néant, parce que, inconsciemment, il n’a jamais agi que suivant les formes de la Nature, parce qu’il n’a jamais créé que comme le symbolique Créateur — avec de l’argile aussi !