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Un autre caractère de la Nature, c’est que, chez elle, la puissance est en même temps de la douceur. Un paysage vaste de plaine ou de forêt est grand. Il est doux aussi. C’est pourquoi il est reposant. On retrouve ce caractère dans les figures de M. Rodin où la vigueur s’allie à de molles flexions de lignes, à un modelé qui frémit comme d’un souvenir de caresse. C’est dans ce cas-là que son art se recueille, oblige à parler bas, devient en quelque sorte sacré. Telle cette figure de l’homme qui baise son enfant ; ou celle du réveil d’Adonis, dont une nymphe écoute le cœur battre, si grave !

Ses œuvres ont encore cette autre ressemblance avec les créations de la Nature, c’est d’apparaître sans date. L’histoire, la légende, des nymphes, des monstres marins, des corps humains, tout ce qui est, tout ce qu’où rêva et qui, par conséquent, est aussi, tout l’Univers physique et cérébral, constitue la matière de son art ; et, comme la Nature, il est contemporain de tous les temps… Il y a une figure de lui bien étonnante à cet égard ; une tête d’homme, borgne, une oreille déchirée, accourant vers celui qui le regarde, juif-errant des siècles, la bouche ouverte dans une clameur de fou qui semble crier depuis deux mille ans et criera encore dans deux mille ans.

Un jour, nous avons senti, par une sorte de