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rieur où les personnages évoluent parmi le clair obscur du crépuscule en cendre.

En cela il est bien du pays où il se fixa et dont il porte partout le ciel dans ses yeux.

De même, dans ses admirables portraits, ceux de Carlyle, de miss Alexander, de Sarasate, son portrait par lui-même, et les autres, et tous, il se révèle de son pays d’origine, de cette inquiétante Amérique, de la race qui a produit Edgar Poë. Les modèles en sont obsédants. Surtout les femmes, qui, toutes modernes et même en toilettes de bal, hantent aussi comme des Ligeia et des Morella, émergeant, en apparitions, du crépuscule des fonds. Il y a de l’énigme dans tous les personnages de ses portraits. On ne sait s’ils rentrent dans la vie ou s’ils en sortent presque. Ils sont à la ligne d’horizon où tombe le jour de l’Éternité. Ils ont l’air anoblis par l’absence, déjà dans le recul du temps, presque posthumes à eux-mêmes. Ils sont ce qu’ils auraient dû être, ou ce qu’ils deviendront.

Et c’est sans doute pour ne point déranger cette atmosphère hallucinée, un peu somnambulique, de ses œuvres, que M. Whistler, souvent, se garde d’y introduire la réalité trop formelle de son nom. Comme sa manière est tout de suite évidente et son originalité unique, il signe d’un emblème qui est, pour lui, une signature suffisante : une sorte de papillon