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homme, que cet homme vint dire ce qu’il pensait de tout ce monde. »

Ce dut être un spectacle piquant que d’assister à la lecture de ce fin et mordant bréviaire d’art, accentué par toute la mimique savante de l’auteur et son physique étrange : l’œil luit derrière un monocle, la bouche se retrousse en rose chiffonnée, une légendaire petite mèche blanche, unique, s’insurge en aigrette dans la chevelure plus foncée ; il rit par saccades, et une malice pétille sur tout son visage, ce visage tourmenté, ouvragé comme un ivoire japonais.

N’est-il pas bizarre, ce goût du bruit et des algarades avec la foule, chez un peintre dont l’art est si aristocratique ? C’est peut-être qu’il aime la bataille à la façon d’un sport, et s’amuse de ses ennemis comme d’un tir aux pigeons.

Après quoi il rentre dans le rêve. Ses tableaux sont des rêves de la couleur. D’abord à cause de son gris unique : on dira un jour le gris de Whistler, comme le roux de Rembrandt, le rose de Fragonard.

Ce gris indéfinissable est fait de toutes les nuances. Un peu blanc, un peu bleu, un peu vert. Quand on regarde un de ses tableaux, c’est comme si on entrait au dedans d’une perle. Gris de brume et de lointains, moins inventé pourtant qu’observé et copié. C’est le gris tendre des côtes d’Angleterre, la couleur