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Antibes, à Argenteuil, dans la Creuse, dans les neiges du Nord, les prés de Hollande ; mais ce ne sont pas seulement des marines qu’il a peintes, des débâcles de fleuves gelés, des rives de la Seine, des jardins de tulipes, des aspects de gares nocturnes, des rues livides de banlieue parisienne, des brumes londonniennes, des séries de peupliers, de meules, de cathédrales, de falaises, sans compter ses merveilleux paysages d’eau, avec tout le maquillage, le tatouage enfiévré des reflets. Outre cela, ce qu’il a peint, et principalement peint, c’est ce qu’il y avait entre le motif de chaque tableau et lui-même, c’est-à-dire l’atmosphère. Il a peint surtout ce que les peintres avaient à peine vu : l’air, ce qui entoure les objets et qui nous en sépare, ce qui les modèle, ce qui les caractérise. Les sites et la vie elle-même varient selon l’état du ciel, le caprice des nuages, la journée ascendante ou au déclin. Or M. Claude Monet, en même temps que tel paysage, peint aussi l’heure qu’il est l’heure où il le voit ; il exprime donc sa vérité éternelle et sa vérité éphémère, comme d’une figure dont on fixerait les lignes, et, de plus, le mouvement. L’après-midi, le paysage est déjà différent de ce qu’il était le matin. Tout l’éclairage atmosphérique a changé. Aussi, le peintre ne travaille que quelques heures au même effet. Le lendemain, il reprend la toile à