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clair de lune », disait-il. Effigies qui racontent toute la vie cérébrale du modèle, étonnantes biographies, qui sont en même temps des synthèses, pour ainsi dire, de la condition humaine et de la condition de l’art, en ce crépuscule d’un âge orageux.

Ainsi Carrière élargit la signification de chacune de ses œuvres, qui n’est plus isolée par son cadre. Elle communique avec toute la vie morale et sociale. Chez lui, un portrait d’artiste fait penser aux œuvres, à l’anxiété de la production, aux luttes, à la gloire. Une scène de maternité évoque l’amour, les craintes tendres, les maladies infantiles, la rapidité du temps qui va bientôt tout changer, qui fait grandir les uns et mourir les autres. Les tableaux de foule et de passants, en grisaille, racontent le labeur, la marche aveugle dans la brume du destin où chacun se sent seul…

Ainsi toujours l’art de M. Carrière simplifie jusqu’aux idées générales, et c’est le miracle de son haut talent de se projeter au delà de lui-même en restant soi, d’enfermer tant de philosophie dans des formes qui ont déjà leur fin en elles-mêmes.