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transposées pour peindre le peuple en remous au spectacle.

Est-ce que la foule n’est pas la houle ? Et le peintre lui donne aussi un mouvement de flux et de reflux, des obscurcissements ici, avec des accents sans visages, et plus loin des lumières brusques sur certains groupes qui sont l’écume au soleil de cette masse.

Or le drame se déroule dans le clair-obscur, la buée trouble… Le peuple, avec son âme ingénue, se passionne, se donne tout entier. Il n’y a plus un public. Il y a une foule qui n’est plus qu’une seule pensée, une seule volonté, une seule âme. Unification merveilleuse ! Lombroso a parlé du crime des foules. Voilà pour l’action. Mais comment réaliser la conscience des foules ? M. Carrière y a réussi ; il a peint une foule (et cela n’était possible qu’avec le peuple) rentrée dans la Nature, devenue pour ainsi dire un élément, et qui se meut sous le drame, comme la mer sous la lune.

M. Carrière a peint aussi des portraits. De la foule, il chercha à dégager la sensibilité ; des individus, l’intellectualité. C’est pourquoi il ne s’attacha à rendre — soit dans des portraits à l’huile, soit dans une série de lithographies — que quelques artistes d’élite, des écrivains, des poètes : Daudet, Verlaine, Edmond de Goncourt qui s’y reconnaissait « comme modelé dans du