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lèvres. Delacroix est surtout attentif à l’être humain, au menu drame de sa vie personnelle. C’est pourquoi, en ce voyage, il a surtout peint des intérieurs. M. Besnard est plus préoccupé par le drame général de la Nature. L’être humain est une parcelle de la matière, une tache de couleur sur l’horizon. Aussi M. Besnard a-t-il plutôt exécuté des scènes de plein air. Mais avec quel éclat prestigieux, quelle pénétration des formes et des couleurs ! Il en a rapporté des figures qui sont des morceaux uniques : femmes au pervers maquillage, à la chair verdie par des gazes, au front pavoisé de rouges géraniums, d’une pâte compacte et vibrante, d’une finesse et d’une intensité de tons non pareilles.

En ces interprétations de l’Orient, il a aussi, et surtout, admirablement compris le cheval. À preuve, entre autres, ce Marché de chevaux, croupes brunes, blanches, rouges, contrastant avec l’étoffe écrue des burnous d’Arabes, sous un ciel or et bleu. Personne ne connaît comme lui l’architecture svelte et compliquée, la ligne souple du cheval, et non seulement du cheval, mais de toutes les bêtes. Il a merveilleusement le sens décoratif de l’animal, depuis les volatiles, ces coqs vernissés et bariolés dont il blasonne ses cartons de vitraux, jusqu’aux grands quadrupèdes comme l’éléphant, qui inspira déjà les artistes de Ceylan et de l’Extrême-Orient.