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la pourriture, les pâleurs de la maladie, les rouges de la fièvre ou du fard.

Il semble que M. Besnard ait retenu toutes ces couleurs artificielles, exceptionnelles, névrosées, exaspérées, raffinées, et qu’il les retrouve sans cesse, dociles et impressionnables au moindre effort de son inspiration. De là le délice un peu physique qu’on éprouve devant cette peinture, forte au point d’en être presque sensualisée. La vue n’est pas affectée seule. Outre l’émotion du cerveau qu’on doit à la rare et puissante imagination du peintre, il semble que des correspondances s’établissent. Le goût, l’odorat, les autres sens s’émeuvent, jouissent de quiproquos subtils, comme si la couleur, chez lui, à force d’intensité, avait aussi un arôme et un suc pour nous remplir non plus seulement les yeux, mais, en même temps, la bouche et les narines.

Cette impression s’éprouve entre autres devant les toiles si intenses qu’il a rapportées d’Algérie ; car lui aussi fut attiré aux haillons superbes, aux plâtres multicolores, de la brûlante Afrique. Déjà Delacroix y était allé, poussant jusqu’au Maroc — vous voyez le parallélisme qui se continue entre eux — mais il avait été plus séduit par les mystérieux et capiteux logis où de belles femmes mi-voilées entretiennent les charbons éternels de leurs yeux et de leurs