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cevoir ni même soupçonner, des nuances comme les méandres de l’eau, les mouvements de la flamme, les inflexions des plantes, et d’en tirer parti pour l’attitude de l’être humain, pour les lignes d’un tableau. Que de notations encore, nerveuses et neuves : la splendeur intime d’un intérieur éclairé, le véritable effet d’un clair de lune qui ennoblit un paysage jusqu’à en faire un état d’âme… Voila des sensations bien modernes par le raffinement. Et aussi, par exemple, tout en peignant la joie, comme M. Besnard s’y complaît, de faire sentir que, au fond, elle est aussi poétique que la douleur, plus variée et non moins mélancolique ! Quel drame tout à coup si le peintre montre combien une femme fardée peut être sinistre !

Ce n’est pas seulement par son idéal scientifique, ni par ses trouvailles compliquées de sensations, mais par sa couleur elle-même, que M. Besnard se prouve le peintre sensitif de l’esprit moderne.

Est-ce que sa couleur, en effet, ne participe pas de cette clarté soufrée, de cet électricité nerveuse qui est aussi dans l’air du temps ? Elle semble une chimie en fièvre.

On la dirait influencée par des lueurs de laboratoire, par le voisinage des bocaux pharmaceutiques. Il semble qu’elle ait passé à travers des cornues, des éprouvettes, qu’elle soit faite de