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sont encore des femmes, mais les femmes d’un Éden où la faute originelle n’a pas existé ou n’existe plus et qui enfantent sans douleurs. Les hommes aussi ont l’air de vivre dans un continent meilleur. L’oubli des sexes et de l’heure est parmi eux. Ils ne s’occupent qu’à de nobles travaux, à être d’accord avec la Nature, à faire de l’éternel avec de l’éphémère, mais sans jamais cesser d’être humains. « La poésie a sa source dans la réalité », disait Gœthe. L’art également, pensa Puvis de Chavannes. On a cru que son domaine était celui du rêve et de la légende. Au contraire, il n’est jamais sorti de la Nature. Toutes les figures de ses tableaux agissent, plutôt qu’elles ne songent. Chacun y fait directement ce qu’il doit faire, comme l’a bien observé, un jour, M. Besnard dans un de ses subtils Salons.

Ainsi, quant aux gestes : on peut dire qu’un geste utile est toujours beau. Tous les gestes des figures de Puvis de Chavannes sont utiles. Geste du travail, de la lutte ou des jeux, dans Ludus pro patria, Inter artes et naturam geste pacifique de l’attente dans Pauvre pécheur, gestes si justes et instinctifs chez les hommes, comme sont instinctifs, chez les femmes qu’il a peintes, les gestes de cueillir des fleurs, de caresser des enfants, de couronner des fontaines.