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fait arrêter le bras de Pierre par Jésus dans le Jardin des Oliviers et, dédaigneux de l’action, lui fait dire : « Celui qui frappe par le fer périra par le fer. »

La preuve s’en trouve dans cette pièce topique du Reniement de saint Pierre où il approuve le disciple d’avoir trahi, et où il condamne le Maître de sa mansuétude ou de sa peur :

Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait
D’un monde où l’Action n’est pas la sœur du Rêve ;
Puissé-je user du glaive et périr par le glaive !
Saint Pierre a renié Jésus… il a bien fait !

Il a bien fait ! Il fallait frapper par le fer et s’imposer par la force. Ainsi éclate sa nature dogmatique, sa religion d’inquisiteur. Car c’est bien un catholicisme politique du XVIe siècle que le sien, d’après lequel il faut s’imposer de force au peuple, puisque celui-ci est incapable de se gouverner et ne comprend que les coups, comme l’enfant et comme l’animal. Ce catholicisme autoritaire d’une part et, d’autre part, la doctrine libérale de Jésus, qui pouvait vouloir mais n’a voulu que pouvoir, sont mis en opposition de la même manière dans une admirable nouvelle de Dostoïewsky intitulée le Grand Inquisiteur, dont le poème de Baudelaire est tout le germe.

C’est à Séville, devant la cathédrale. Le Grand Inquisiteur, Torquemada, passe silencieux, avec