Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gamins jetteront un jour des pierres après son buste.

C’est pour cela qu’il est pastoral. Dans son œuvre aboutissent toutes les voix de la Nature, parce qu’il n’a pas quitté la Nature. Est-ce que déjà son nom, qui est le vent du Midi, n’indique pas une force naturelle, quelque chose qui est moins d’un individu que d’un climat et d’une race ? Signe de la Destinée ! Il porte en lui l’âme même du peuple. Et c’est cette âme qui crée en lui. Ainsi les événements, les personnages, les paysages, sont regardés par lui comme le peuple les regarde. Nous y songions, un soir que nous lui entendions réciter son admirable Tambour d’Arcole. Ce n’était pas ainsi qu’un écrivain doit se représenter logiquement l’aventure héroïque ; mais c’est ainsi sans doute que le peuple l’imagine, coloriée et confuse comme une image d’Épinal dans des fumées…

Ce soir-là. Mistral nous récita aussi son poème de Saint Trophime, d’autres morceaux. Curiosité et délice de l’entendre ! C’était chez M. Alphonse Daudet, l’été, dans ce joli castel de Champrosay, dans ce milieu d’art unique, avec les fenêtres ouvertes, après le dîner, sur le parc blanc de lune. Mistral déclama à voix ample, à grands gestes. Mais sa voix de soleil s’accordait mal avec les lampes ; ses gestes élargis, avec le salon.