Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’est l’arrière-goût d’amertume de tous les fruits cueillis, la frénésie des fins de fête, un bruit de départs incessants. Vie instable ! Destinées éphémères ! Fantômes avant-coureurs et pires que la mort ! Il y a des pages que baigne une sueur moite. On éprouve une terreur d’on ne sait quoi. M. Octave Mirbeau excelle à ouvrir ainsi des portes sur le mystère, à susciter des ombres suspectes dans les miroirs, à amasser des soirs livides où des clochers chavirent, où des passants s’exténuent. C’est une des faces inquiétantes de son talent qui, dressé haut dans la vie, en arbre fougueux, aux branches nombreuses, laisse entrevoir que ses racines plongent dans des terres de poison et d’écroulement, aboutissent à des eaux ou flottent les cadavres d’Ophélie et des fous.

Ce sentiment de la mort est permanent chez lui… Ainsi dans le Calvaire même en pleine sensualité, tandis que Juliette dort, il se met à l’imaginer morte. La vision s’accomplit jusqu’au bout… Dans la fraîche haleine de la femme, pointe une imperceptible odeur de pourriture ; autour du lit, s’allument déjà, et vacillent les cierges funéraires… des glas s’entendent…

Union de l’amour et de la mort. Qui peut les désassocier ? Par quel mystère, les amants, au paroxysme de la volupté, ont-ils la nostalgie de mourir.