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toute allongée dans son âme. Voilà comment on peut s’évader de la vie, atteindre le plus haut sommet de l’individualisme et intensifier si fort son désir que la réalisation en devient inutile. On devient réellement ainsi maître des choses et de tout l’Univers. Et c’est la meilleure façon sans doute — la seule, disons même — de réaliser l’absolu.

Cette volonté intransigeante de l’absolu que nos extrêmes civilisations empêchent et qui ne siérait que dans une société toute proche de la Nature, est la caractéristique des romans de M. Mirbeau, et de ne pouvoir la réaliser, nait précisément le drame et une vie qui est frénétique de luttes pour un impossible idéal : le personnage du Calvaire veut l’absolu de l’amour ; l’abbé Jules, l’absolu de la liberté ; Sébastien Roch, l’absolu de la pureté ; Jean Roule des Mauvais Bergers l’absolu de la justice et de la bonté sociale. Or cet absolu, toujours conforme à la Nature, à l’instinct, est souvent contraire aux idées admises, à nos mœurs de politesse, de réticences, d’acceptations, d’hypocrisies, a tout ce qui est convenu, correct, solennel, officiel. N’importe ! M. Octave Mirbeau n’est pas seulement un grand écrivain ; il est un écrivain courageux. Il dit tout ce qu’il faut dire, en dépit des prudences, des sourdines et des fards, des préjugés, abus, compromis, — choses tempo-