Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.

purement féminine. Don Juan ne chercha l’absolu que sous une seule forme : l’Amour.

Que dire de celui qui serait le Don Juan de tout l’Idéal ? M. Octave Mirbeau y fait songer. Il n’y a pas que l’absolu de la beauté. Il y a l’absolu de la bonté, du bonheur, de l’art, de la justice. L’amour du cœur va à d’autres choses qu’à la femme : on veut aimer des tableaux, des livres, les malheureux, les pauvres, les fleurs, les morts, les nuages — on veut pouvoir s’aimer soi-même. Comment faire avec un seul cœur, si exigu, et qui contient si peu ? Pourtant il faut aimer encore. On n’a pas assez aimé. On s’est trompé en aimant. Alors on vide son cœur — pour le remplir de nouveau. On se déprend, parfois, mais c’est afin de se passionner autre part.

C’est la nature de don Juan… Or M. Octave Mirbeau lui ressemble comme un frère, plus souffrant, plus inassouvi, puisqu’il aime davantage et que son idéal est sans limites.

Lui aussi a un sourire : son ironie, une ironie spéciale, hautaine et grinçante, d’une originalité unique et qui constitue une de ses plus fortes vertus littéraires. Encore un peu, ceux qui ne voient pas assez le fond des choses l’auraient pris pour un pamphlétaire, à cause de cette ironie, parce qu’il publia les Grimaces qui furent parfois de cruelle satire, et parce qu’il