Page:Rodenbach - Bruges-la-Morte, Flammarion.djvu/71

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Qui dira les passionnées étreintes d’un couple qui s’aime, longuement séparé ? Or la mort ici n’avait été qu’une absence, puisque la même femme était retrouvée.

En regardant Jane, Hugues songeait à la morte, aux baisers, aux enlacements de naguère. Il croirait reposséder l’autre, en possédant celle-ci. Ce qui paraissait fini à jamais allait recommencer. Et il ne tromperait même pas l’Épouse, puisque c’est elle encore qu’il aimerait dans cette effigie et qu’il baiserait sur cette bouche telle que la sienne.

Hugues connut ainsi de funèbres et violentes joies. Sa passion ne lui apparut pas sacrilège mais bonne, tant il dédoubla ces deux femmes en un seul être — perdu, retrouvé, toujours aimé, dans le présent comme dans le passé, ayant des yeux communs, une chevelure indivise, une seule chair, un seul corps auquel il demeurait fidèle.