Page:Rodenbach - Bruges-la-Morte, Flammarion.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la morte pour l’appliquer à la forme du tombeau qu’il venait de voir et imaginer tout celui-ci, avec un autre visage. Mais la figure des morts, que la mémoire nous conserve un temps, s’y altère peu à peu, y dépérit, comme d’un pastel sans verre dont la poussière s’évapore. Et, dans nous, nos morts meurent une seconde fois !

Tout à coup, tandis qu’il recomposait par une fixe tension d’esprit — et comme regardant au dedans de lui — ses traits à demi effacés déjà, Hugues qui, d’ordinaire, remarquait à peine les passants, si rares d’ailleurs, éprouva un émoi subit en voyant une jeune femme arriver vers lui. Il ne l’avait point aperçue d’abord, s’avançant du bout de la rue, mais seulement quand elle fut toute proche.

À sa vue, il s’arrêta net, comme figé ; la personne, qui venait en sens inverse, avait passé près de lui. Ce fut une secousse, une apparition. Hugues eut l’air