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triste, étant si beau. Un teint mat où brûlaient des yeux de fièvre, et une chevelure blonde, tumultueuse, où il y avait du miel, de l’ambre, des feuilles mortes.

Sa mère, vieillissante, cheminait à côté de lui ; mais, si proches, ils semblaient en réalité si distants ! Est-ce que les quais ne sont pas parallèles ? Pourtant toute l’eau froide des canaux les sépare. Eux également avaient l’air de poursuivre chacun des songes, sans les mêler. Un grand mystère morose régnait entre eux, froid aussi et impénétrable comme l’eau elle-même. Quel était-il ? La curiosité publique s’en inquiétait. On les épiait souvent au passage, derrière le tulle des rideaux, dans les placides demeures ; et, grâce à l’indiscrétion de ces petits miroirs qu’on appelle espions, fixés sur l’appui extérieur des fenêtres, on cherchait encore, tandis qu’ils s’éloignaient, à capturer un geste, un échange de regards, un signe, une nuance de profil qui pût aider à élucider leur secret.

L’énigme de cette double existence pensive apparaissait d’autant plus inex-