Page:Rodenbach – La Vocation, 1895.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Çà et là des patineurs fendant l’espace, côte à côte avec les passants qui marchaient. On aurait dit, au centre, une humanité supérieure, plus agile, plus aérienne, douée d’un sens supplémentaire, encore mi-hommes et déjà mi-anges, et qui, à ras de la glace, prenait l’essor, avait l’air de voler.

Les promeneurs étaient arrivés à la porte de Damme où verdit, d’un vert olive, une mélancolie de talus. Ils se retournèrent pour regarder encore une fois la ville toute délimitée au soleil. Ah ! ce ton du soleil sur les après-midi gelées de Bruges, — le ton des cierges sur un catafalque de vierge — ces rayons sur l’hiver, ce roux pâle sur la glace, quelque chose comme la patine sur les vieux tableaux, et qui donnait ici à l’air, aux canaux, aux rues, la couleur et comme l’atmosphère d’un musée ! Quand ils eurent quitté la ville, arrivés dans la pleine campagne, en suivant le canal bordé d’arbres, Wilhelmine eut la fantaisie de vouloir descendre un peu sur la glace. Les mères s’effrayaient…