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flexions, et finissait par m’adresser les questions les plus singulières :

— Philippe, est-ce que les bêtes ont une âme comme nous ?

Je ne savais jamais que lui répondre. Et il discutait avec lui-même, en me demandant de temps en temps : « Qu’est-ce que tu en penses, toi ? » sans m’écouter, d’ailleurs, quand je me hasardais à expliquer tant bien que mal mes confuses idées.

Aussi n’avais-je guère d’amitié pour lui : en le quittant, je conservais un vague malaise, une espèce de crainte inavouée, comme si j’eusse rencontré un être surnaturel. Sans l’attrait de voir ma marraine, mes visites au château eussent été pour moi de pénibles corvées.

Un jour que mon père me ramenait, nous rencontrâmes le curé, et fîmes route ensemble.

Notre curé de ce temps-là, M. Verguières, — un homme d’une stature exceptionnelle, taillé en Hercule, avec une bonne tête de mouton, — était d’âme excellente, mais timoré comme ma mère. On racontait que, dans sa jeunesse, il avait eu, avec son évêque, des difficultés sur un point de dogme, qui avaient failli briser sa carrière : de là, peut-être, la crainte de déplaire ou d’avoir raison tout seul, qui le poursuivait sans cesse. Il était de ceux qui suivent le vent et cèdent tou-