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prouvais pour elle une tendresse infinie. Comme je la sentais malheureuse sans pouvoir connaître l’étendue de son malheur, cette tendresse devenait plus vive, presque passionnée. Quand je voyais qu’elle avait pleuré, des larmes me montaient aux yeux : j’aurais voulu pleurer aussi, pour elle. Et puis, je comprenais que de méchantes gens cherchaient à lui nuire ou l’affligeaient ; et j’aurais aussi voulu la défendre, me faire son chevalier, mourir pour elle, comme au bon temps d’autrefois dont je commençais à lire les histoires. Mais j’étais un petit garçon que personne ne prendrait au sérieux : tout ce que je pus, ce fut de faire encore, à l’occasion, le coup de poing avec mes camarades, sans pénétrer, n’étant point précoce, le sens de leurs sous-entendus. Dans une de ces batailles, j’eus un œil fâcheusement poché, et justement, l’après midi, nous allions au château.

— Qu’est-ce que tu as ? me demanda ma marraine.

— Je me suis battu.

— Pourquoi ?

Je rougis en répondant :

— Je ne sais pas… Comme ça, pour rien !…

Alors elle me gronda doucement.

— Il ne faut jamais faire de mal à personne… Il faut vivre en paix avec tout le monde…