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— Elle veut rester seule, disait-on ; qu’elle le soit !

L’on jugeait que son attitude était, non d’une veuve affligée, mais d’une coupable que hantaient des remords, qui a honte de soi-même. Peu à peu, la comtesse Pierre perdait le prestige qu’elle devait à son mariage : elle redevenait Mlle  Marian, c’est-à-dire une étrangère, inconnue de la localité méfiante, un papillon égaré dans la fourmilière, qu’il serait bon de dévorer. Les dents s’aiguisaient ; il se formait une légende, — une vraie légende, mon ami, — que je veux te raconter comme telle :

Il y avait une fois un jeune gentilhomme, porteur d’un beau nom, titulaire d’une belle fortune, propriétaire d’un beau château. D’âme tendre, de santé chétive, il avait été élevé avec prévoyance par des parents excellents, qu’entourait l’estime universelle ; en sorte que les augures auraient pu lui prédire une vie heureuse. Mais la mauvaise fée, oubliée le jour de son baptême, se plut à démentir ces probabilités, en plaçant sur son chemin, pour qu’il la rencontrât au moment où le cœur ne demande qu’à se laisser cueillir, une jeune fille admirablement belle. Or, malgré son adorable beauté, cette jeune fille était un démon, capable d’ourdir les complots les plus perfides et de les réaliser. Elle se dit : « Voici un nom, un château,