Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de fuite ouvrirait toutes les barrières aux flots montants de la calomnie, dont l’assaut porterait désormais contre ma seule marraine ; comme il avait l’âme chevaleresque, il essaya de combattre la résolution de son neveu. Il raisonna, il se fâcha, il le traita de lâche : mon cousin n’entendait rien à ses discours :

— Lâche, répondait-il, pourquoi, mon cher oncle ? Je ne dois rien à la comtesse Micheline, absolument rien. Elle m’a invité quelquefois chez elle, voilà tout : faut-il pour cela que je renonce à un bel avancement et me condamne à rester aux Pleiges toute ma vie ?

Au fond, c’était raisonner très justement, ne trouves-tu pas ? Mon père se laissait entraîner par la générosité de sa nature ; mon cousin par la platitude de la sienne. Il n’y a rien à lui reprocher. S’il est partout vrai que la platitude a toujours raison et que la générosité est une folie, cela est encore plus vrai qu’ailleurs dans ces endroits minuscules où, sous peine d’encourir mille maux, il faut rétrécir son âme aux limites de sa bourgade.

Le départ de mon cousin Jacques fit grand bruit. Il fut, entre autres, l’occasion d’une scène de collège que je n’ai jamais oubliée. Je me revois très bien dans la cour, pendant une récréation, houspillé par cinq ou six de mes camarades qui répétaient à l’envi :