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Philippe en était là de son récit quand Madeleine entra, nous apportant des limonades. Il l’interpella :

— Dis-moi, Madeleine, te souviens-tu du comte Pierre ?

La vieille femme posa son plateau :

— Si je m’en souviens, monsieur Philippe ! s’écria-t-elle. Comme si je l’avais vu hier !

Voyant que son maître attendait quelque chose de plus, elle ajouta :

— Est-ce qu’on peut jamais oublier une pareille histoire ? Aussi longtemps qu’a vécu madame votre mère, monsieur Philippe, elle en parlait sans cesse. Elle disait : « Je suis sûre que le Bon Dieu lui a pardonné, parce que sa femme a expié son crime. Elle a trop souffert par lui et pour lui ! » Et M. le docteur disait : « Il s’est passé dans notre ville des choses qui feraient douter des hommes et de la justice et de tout ! Car enfin, pourquoi est-ce que les innocents payeraient pour les coupables ? »

Madeleine hésita un instant, puis continua, en se signant :

— Il disait encore : « Après tout, est-ce qu’il a été si coupable, ce malheureux ? N’y a-t-il point d’excuses pour nous quand nos pauvres forces humaines défaillent ? Il faut le plaindre, non le condamner. Mais s’il avait su…, s’il avait su ce que sa mort coûterait à sa pauvre