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elle : on redevenait prudent, par crainte de l’irriter. Mme d’Ormoise elle-même ne parlait plus des absents qu’avec précautions. Mlle Éléonore, tout en se plaignant d’être délaissée, ne tarissait pas d’éloges sur sa « chère nièce ». Bref, les langues les plus vipérines se tournaient, comme on dit, trois fois dans la bouche avant de rien dire, et l’on pouvait croire l’ordre rétabli.

Mais au retour, le chœur mauvais reprit, en sourdine, avec toutes sortes de réticences, d’autant plus que le genre de vie qu’adopta le jeune couple, par cela seul qu’il différait des habitudes consacrées par leurs parents, ouvrit aux commentaires une large carrière. Avec eux, le château perdait ses derniers airs féodaux. La grâce accueillante de la comtesse Micheline et la bienveillance timide de son mari en firent bientôt une maison ouverte, où l’on entra sans distinction de caste. Le colonel Marian s’y était installé : il y reçut des amis de « son monde », qui n’était point celui de son gendre. Les Lesdiguettes furent admis sur le pied d’égalité. Facilement conquise, volontiers amicale, la comtesse, maintenant, rendit les visites, entra dans des maisons que jamais ses beaux-parents n’eussent honorées de leur présence : loin de lui en savoir gré, on blâma son libéralisme. Mme d’Ormoise disait, en pinçant les lèvres :