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chies ou en voie de s’enrichir, c’est qu’elles ne quittent pas volontiers le pays. Ceux qui sont partis reviennent : ce qui explique que la ville augmente peu à peu, sans perdre aucun de ses caractères traditionnels. Ai-je besoin de te dire que ces braves gens sont vertueux ? Il n’y a pas un vice ici. Point d’ivrognes : si tu en rencontres, tu peux être sûr que ce sont des journaliers savoyards, engagés pour les gros travaux de la campagne : on ne les aime guère, mais on ne peut se passer d’eux. Pas de rixes, même en temps d’élections : l’on s’inquiète peu de la politique. Mais cette vertu, hélas ! a les inconvénients de la vertu trop consciente et trop sûre : elle est âpre, exigeante, sévère, maussade : elle manque de grâce et de vraie bonté ; à l’occasion, elle s’exaspère jusqu’à devenir féroce. Non seulement ces honnêtes gens ne pèchent pas : ils veulent encore que personne ne pèche autour d’eux. Ils sont ombrageux, ils s’épient les uns les autres avec le désir constant de se prendre réciproquement en faute. Ce jeu-là développe la malveillance : dans le fait, ils se complaisent à interpréter en mal leurs actes les plus innocents, ils se prêtent volontiers les uns aux autres d’abominables pensées. D’aigres racontars, enfiellés de calomnie, circulent sans cesse parmi eux : on ne sait jamais s’ils y croient ou non, mais, en tout cas,