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Je dis :

— Je ne connais pas cet artiste.

— Cela ne m’étonne pas, répondit Philippe ; il est complètement inconnu. Son nom ne figure dans aucun dictionnaire. D’abord, ce n’était point un artiste professionnel : c’était un simple pharmacien, un ami de mon père, qui avait du goût pour la peinture, et qui a fait, à ses moments perdus, trois ou quatre pastels, dont aucun n’est un chef-d’œuvre. Celui-ci ne vaut pas mieux que les autres.

— Alors, pourquoi lui as-tu fait place dans ce sanctuaire ?

— Je ne suis pas assez connaisseur en art pour songer à l’artiste seulement. Je pense quelquefois au modèle.

En effet, la tête était charmante, quelque adresse que le peintre eût déployée à la gâter, d’une pureté de lignes adorable ; sous la gaucherie du crayon subsistait la délicatesse des traits, qui dégageaient une ineffable impression d’harmonie et de grâce. Peu à peu l’âme apparaissait sur cette figure, non parce que l’artiste avait su la montrer, mais parce qu’il n’avait pas réussi à la détruire : on en devinait la douceur, on la sentait très bienveillante ; on finissait par restaurer, pour ainsi dire, la magnifique chevelure châtain qui encadrait le front pensif, un peu étroit, les yeux de violettes au regard caressant, le sourire à la fois