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Là-dessus, il m’introduisit dans un petit salon Louis XVI, tendu d’étoffe bleue à ramages. Cette fois, ce ne furent pas les meubles qui m’arrêtèrent, bien qu’ils fussent du plus pur style de l’époque, avec des moulures exquises : ce furent les quinze ou vingt portraits qui décoraient les murailles, dont quelques-uns portaient les marques de vrais maîtres. Et déjà mon ami me les expliquait avec complaisance :

— Voici un portrait de Moultou, peint par Liotard : Moultou était cet honnête pasteur genevois, qui prit avec tant d’ardeur le parti de Rousseau. Je ne suis pas fâché de posséder son image, car c’était un brave homme. À côté de lui, je crois bien que c’est un Latour, et j’ai de bonnes raisons pour penser que ce portrait est celui de Mme  d’Houdetot, bien que la ressemblance ait paru contestable à quelques connaisseurs. Là, tu reconnais Jean-Jacques en personne. Tu sais l’admiration que je lui ai vouée : tu ne t’étonnes donc pas de le trouver ici. Je ne te dirai pas de qui est ce pastel, je l’ignore ; mais tu vois bien que ce n’est pas un morceau banal. Le vieux solitaire a été pris sur le vif, dans une de ses heures de mélancolie. As-tu jamais vu des yeux plus navrés, un sourire plus amer ? Les autres, je ne sais pas leurs noms ; mais ce sont des contemporains : toutes ces femmes ont lu la