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— Ce que tu as ici te suffit ?

Ma question parut l’étonner.

— Certainement, fit-il. Que pourrais-je souhaiter encore ?

— Tu n’as aucune envie d’un plus grand cercle, d’un autre milieu ?

— Pas la moindre.

Ses réponses, solides, sûres, tranquilles, indiquaient une résolution bien prise, une volonté ferme, qui sait ce qu’elle veut, et pourquoi.

Comme je ne l’interrogeais plus, il ajouta :

— De l’air, de l’espace, des sapins, des montagnes : que faut-il donc de plus ? Tu sais que j’ai des goûts très simples.

J’insinuai :

— Autrefois, tu avais de l’ambition.

Il haussa les épaules :

— Il y a si longtemps ! fit-il avec un geste de dédain. Depuis, la vie a passé…

Et il trouva cet étonnant argument :

— Il y a des millions d’hommes qui feront ce que j’aurais pu faire, aussi bien que moi, ou mieux ; il n’y en a point qui jouirait davantage de ce paysage !…

Je ne pus m’empêcher de rire, tant le raisonnement me parut saugrenu ; mais je l’approuvai :

— Tu es un sage : tu l’as toujours été !

Il habitait une maison isolée, à quelques minutes de la ville, au bord de la route. Devant la porte, sa gouvernante atten-