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même, en proie à des pensées qui n’étaient point de mon âge. Si j’ai gardé un souvenir si net des moindres incidents de cette douloureuse aventure, c’est certainement en partie parce que je leur ai dû la brusque révélation de ces mystères que l’âme, d’habitude, découvre peu à peu : la douleur, l’injustice, la séparation, la mort. Je ne sortais pas, par crainte de rencontrer quelqu’un de ces êtres à qui j’en voulais du mal qu’ils avaient fait, que j’accusais de méchanceté noire, que je haïssais, que j’aurais voulu punir, dont la vue faisait bouillonner, comme une onde généreuse, mon indignation d’enfant. En entrant, ma mère me demandait :

— Qu’as-tu fait, Philippe, aujourd’hui ?

Il me fallait lui répondre :

— Rien !

Elle ajoutait :

— Est-ce que tu t’ennuies ?

— Non. Comment va ma marraine ?

La réponse ne variait pas :

— Toujours la même chose, Philippe.

La veille de mon départ, ma mère me dit :

— Ne veux-tu pas la voir, avant de rentrer au lycée ? Je crois que cela lui ferait du bien.

Et elle me prit avec elle.

Au milieu de la neige qui l’entourait de toutes parts, le château se dressait avec un aspect fantastique. Je poussai trop