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pour un cas urgent. J’avais passé la soirée à lire, et fini par m’endormir, et je m’éveillai l’esprit lourd, indifférent aux impressions du jour solennel. Mon père rentra. En enlevant son manteau de fourrure, il demanda :

— Comment va-t-elle, aujourd’hui ?

Ma mère répondit :

— Toujours de même.

Mon père s’installa dans son fauteuil.

— Ce jour doit lui être bien cruel, fit-il en réfléchissant.

— Pas plus que les autres, dit ma mère. Je crois qu’elle ne sait pas même que l’année va commencer…

— C’est vrai, dit mon père, elle n’a rien à en craindre ni rien à en attendre.

La vieille pendule, de sa voix qui ne changeait pas, sonna ses douze coups. J’attendais la phrase accoutumée. Peut-être monta-t-elle aux lèvres de mon père, mais il ne la prononça pas ; et nous nous regardions tous les trois, en laissant refroidir le vin qui fumait dans nos verres, gagnés ensemble par cette sourde angoisse que donne aux êtres unis le voisinage de la douleur ou le passage de la mort.

Cette impression me hanta pendant les deux ou trois jours qui suivirent. Ma mère passait presque tout son temps au château. Mon père faisait ses visites de malades. Je restais seul, replié sur moi-