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tout doucement, en retenant mes sanglots, puis plus fort.

Ces pleurs d’enfant soulagèrent celle qui n’avait plus de larmes, car ses bras qu’elle serrait contre moi se détendirent, son farouche silence se rompit, j’entendis qu’elle disait d’une voix presque naturelle :

— Il t’aimait !… Il a parlé de toi !… Il appelait : Philippe !… Il était ton ami !…

Elle se tut de nouveau, en me gardant contre elle, immobile.

— Je vais l’emmener, dit mon père.

Elle supplia :

— Pas encore.

Ma mère insista :

— C’est encore un enfant !…

Elle ne répondit pas, et la scène de deuil se prolongea…

Ensuite, je sus heure par heure ce qui se passait au château.

Souffrant depuis plusieurs semaines, atteint dans ses facultés plus encore que dans sa santé, le colonel, qui s’était à peine aperçu de la maladie de son petit-fils, s’aperçut à peine de sa mort. Seulement, il demandait sa fille, qu’on ne pouvait pas arracher de la chambre mortuaire. Elle refusait toute nourriture. Pourtant, le second jour, mon père parvint à lui faire prendre une tasse de lait. Sa vie physique semblait suspendue, plus encore sa vie morale : inerte, elle s’abandonnait à ceux qui remplissaient pour elle les