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souvent parlé de toi, dans son délire. Tu as raison de vouloir lui dire adieu. Allons tous les trois ! Allons !

Ma mère céda ; mais je voyais à son air inquiet qu’elle craignait pour moi cette première rencontre avec la mort, et, tout en mettant son châle et son chapeau, elle me suivait de ses yeux de sollicitude. Je lui dis :

— Je n’ai pas peur, maman !

Elle me serra contre elle, comme pour me défendre de la formidable ennemie qui rôdait peut-être encore près de nous ; car elle ne se contente pas souvent, dit-on, d’une seule victime.

Comme je le revois bien, le pauvre corps si grêle, aminci encore, diaphanisé par la maladie ! Comme je les revois, les yeux fermés où s’était éteinte la nostalgie de la mer, et les mains, les longues mains maigres sur la couverture, et ce bouquet de roses de Noël, — les seules fleurs qu’on eût trouvées, — posé sur la poitrine immobile et muette ! Et près du lit, dans le demi-jour de la chambre où flottaient des odeurs de drogues, la forme vague et noire de ma pauvre chère marraine !…

Elle était anéantie dans un fauteuil, la main étendue vers la main de son fils. Au bruit que nous fîmes en entrant, elle se tourna vers nous, je vis un visage presque aussi maigre que celui du cadavre, des