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ans, la maladie, la mort, ce sont des idées lointaines qui manquent de précision. Je me dis : « Il est malade, il guérira, » et je n’y pensai plus. Je me mis en route avec autant d’impatience que si j’étais sûr de trouver tout le monde bien portant et la maison gaie.

Hélas ! quand j’arrivai aux Pleiges, c’était cette désolation latente, répandue comme un voile de crêpe sur les gens et les choses, qui précède les deuils. Ma mère m’attendait au bureau de la Poste, — car nous n’avions pas encore le chemin de fer régional dont tu as profité. En sautant de la lourde caisse jaune où j’avais eu bien froid, je vis qu’elle ne m’accueillait point avec sa sérénité habituelle et qu’elle avait les yeux pleins de larmes. En m’embrassant, elle me dit aussitôt :

— Ton petit ami est très, très malade…

Je me serrai contre elle dans la crainte naissante du malheur. Elle ajouta, la voix tremblante :

— On croit qu’il va mourir…

Je répétai :

— Mourir !…

Et je tâchai de réaliser le sens de cet affreux mot, sans bouger de place, comme hypnotisé par une apparition terrible.

— Il faut venir à la maison, dit-elle.

Je me laissai prendre par la main, comme quand j’étais tout petit et, chemin faisant, ma mère me raconta la