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thony me retenait dans les limites d’une saine modestie. Quoi qu’il en soit, le moment arriva où l’école des Pleiges fut jugée insuffisante pour moi : au commencement de l’hiver, on m’envoya à B***, où j’eus le plaisir de faire ta connaissance et la mortification de m’apercevoir que je savais très peu de chose. J’imagine que tes souvenirs de ce temps-là sont à peu près aussi frais que les miens. Mais, toi qui étais né dans un chef-lieu de département, tu ne saurais te représenter les impressions d’un vrai provincial, issu d’une bourgade comme celle où nous sommes, quand il arrive dans une « grande ville », marche dans des rues en mouvement, passe devant des cafés animés ou sur des places où l’on fait de la musique, et sait qu’il y a, tout près de lui, cette chose magique qui s’appelle un théâtre. C’est la découverte du monde, mon cher ami. Comme il paraît beau ! Te l’avouerai-je ? C’est avec une joie profonde que j’avais quitté les Pleiges, ma bonne mère, mon excellent père, la douce maison de mon enfance, pour courir à cette découverte. Quant à Anthony, je lui fis mes adieux sans grande émotion ; lui, au contraire, ne put retenir ses larmes. Comme sa mère assistait à notre dernière entrevue, il ne me confia pas ses pensées ; mais je devinai que lui aussi aurait bien voulu partir :

— Tu m’écriras, me dit-il.