Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’intelligence discrète finirent par exercer sur moi un véritable ascendant. J’ai gardé un souvenir exquis de ces heures à trois, passées sur un texte de Virgile. Dehors, la bise soufflait éperdument. Dans notre chambre, il faisait bien chaud. Je déchiffrais tant bien que mal les vers difficiles, et je voyais devant moi la figure d’Anthony, le front barré d’effort et d’attention, tandis que M. Lanternier, avec un sourire enchanté, suivait les tâtonnements de sa traduction. Parfois, mon camarade s’écriait :

— Que c’est beau !

J’en demeurais abasourdi, car Énée, Turnus, la reine Amata, Lavinie elle-même, m’ennuyaient à périr. Mais lui, vivait avec eux, tremblait de leurs dangers, frémissait de leurs passions, de toutes les forces vibrantes de sa petite âme ardente et comprimée. Quand sa mère venait le chercher, il se jetait dans ses bras, rayonnant d’enthousiasme :

— Oh ! maman, c’était si intéressant, aujourd’hui !

La figure de M. Lanternier rayonnait aussi.

Quelquefois, ma marraine me demandait :

— Et toi, filleul, qu’en penses-tu ?

Alors je balbutiais quelque chose et je baissais le nez, honteux de manquer d’enthousiasme. Pour me consoler, M. Lanternier disait, gentiment :