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ternier, était appelé à donner des leçons particulières de latin à Anthony ; j’en conclus aussitôt que la situation n’était point aussi désespérée que je l’avais cru : car des leçons particulières représentaient pour moi une dépense considérable.

Ce M. Lanternier était un pauvre garçon, dont le maigre traitement nourrissait une mère et deux sœurs cadettes. Long, maigre, osseux, la figure glabre, les yeux étonnés derrière des lunettes teintées, timide comme le sont volontiers les êtres faibles et dépendants, il nous paraissait un peu ridicule. Les plus turbulents d’entre nous en avaient fait leur souffre-douleur. Les désordres de sa classe étaient légendaires, en sorte qu’il tremblait toujours d’être blâmé par le proviseur, ou déplacé, et, de ce chef, condamné aux frais d’un déménagement. Quand on sut que trois fois par semaine il prenait le chemin de la demeure maudite, les taquineries redoublèrent : excitée, l’imagination de ses bourreaux trouva des supplices raffinés. J’ai vu le malheureux pleurer, au milieu du tumulte déchaîné où s’agitait son impuissance. Et puis, l’opinion publique ne tarda pas à s’en mêler : l’opinion publique jugea que M. Lanternier, chargé de l’éducation intellectuelle et morale de la jeunesse de la ville, ne pouvait nager dans les eaux de la dangereuse sirène qui avait perdu mon cousin Jacques ; il y avait là,