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incidents prenaient pour nous un relief extraordinaire. Lui, ne me disait à peu près rien de la sienne. À peine parlait-il quelquefois de ses parents, qui vinrent le voir de temps en temps, et dont j’aperçus les rapides silhouettes. Je le savais fils unique d’un médecin fort habile, établi dans la petite ville des Pleiges, dans le Jura. Une fois, à la rentrée des grandes vacances, il revint en deuil : sa mère était morte. Je lui demandai :

— Tu as beaucoup de chagrin ?

Il me répondit, avec un tremblement dans la voix :

— Oui, beaucoup.

Il ajouta, les yeux perdus, d’un ton pénétré :

— Ma mère était très, très bonne !

Et ce fut tout.

D’où venait cette extrême réserve ? Les uns l’attribuaient à une dureté d’âme dont les raideurs d’attitude de Philippe semblaient témoigner. Mais je savais bien, moi, que mon ami n’était point insensible, qu’au contraire son âme vibrait et frémissait aux moindres chocs, qu’il portait en lui un monde de sensations dont la vivacité allait parfois jusqu’à la violence, et que, seul, le masque restait impassible. Ce que j’ai connu plus tard de sa vie ne m’a point expliqué non plus sa retenue presque sauvage, qui découragea bien des sympathies. Je crois donc qu’il faut simplement