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mais de vrais pauvres lamentables, grossiers, abrutis par la misère, abandonnés de tous. Elle n’aurait pas osé s’adresser à ceux de la ville, par crainte de les compromettre : elle allait les chercher loin, dans des villages, dans des masures isolées. Elle les trouvait malades, et les soignait. Elle leur apportait, avec des secours, de bonnes paroles. Ils l’adoraient. Mais ils étaient peu nombreux, et totalement dépourvus d’influence. Leurs voix compteront au tribunal du Seigneur : devant la justice des hommes, elles n’ont point de prix. Et la bonté même qu’elle leur témoignait, lui valait des censures : car elle n’était point bonne comme les autres « dames » de l’endroit, qu’offusquait la nature de sa bonté. Je me souviens d’une anecdote qui fera comprendre ce que je veux dire :

Il y avait en ce temps-là une orpheline, dont le père avait été tué dans un incendie. C’était une jolie fille, qu’on appelait Annette. Élevée aux frais de la ville, en reconnaissance de la mort vaillante de son père, elle travaillait, comme couturière, dans les meilleures maisons, en attendant qu’elle trouvât à se marier. On la payait mal, de peur de lui gâter le caractère ou d’éveiller en elle des ambitions malsaines, mais on lui témoignait quelques égards. On lui faisait de petits présents. On l’invitait les jours de fête. On l’asseyait