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piste coupable, l’imagination des honnêtes gens devient terrible. Elle franchit toutes les barrières. Elle se grise d’elle-même comme un cheval de vent, et malheur à ceux qu’elle poursuit !

Elle, cependant, avec peut-être le sentiment que les infamies dont on l’accablait pourraient atteindre jusqu’à son âme, luttait de son mieux pour en écarter le contact. Autour d’elle, dans le cercle étroit qui lui restait, elle trouvait des ressources, des points d’appui, des objets pour occuper sa tendresse, pour exercer sa bonté. Elle avait son père, dont la haute taille se voûtait peu à peu, comme si elle eût plié sous un poids trop lourd, et dont il fallut bientôt soutenir la démarche lente et lasse. Elle avait son fils, pauvre être qui exigeait des soins infinis, d’ailleurs d’une sensibilité maladive, idolâtre de sa mère, attendant d’elle, toujours, l’air et la vie qu’elle semblait lui faire au jour le jour, tout exprès pour ses poumons fragiles, pour son cœur irrégulier. Elle avait notre famille, où elle trouvait un accueil amical et réconfortant. Elle avait ses pauvres… Et quels pauvres, mon ami ! Non pas des pauvres professionnels, dressés pour satisfaire aux besoins de la charité courante, propres, ragoûtants, sachant se plaindre et dire merci, comme il en existait quelques-uns aux Pleiges pour occuper les loisirs de Mme  d’Ormoise et de ses amies ;