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tous ces rêves, auxquels son ardente imagination donnait une intensité extraordinaire, il se retrouvait, selon la réalité, un pauvre enfant malingre, enfermé par des ennemis invisibles dans un château où un méchant enchanteur tourmentait sa mère et lui-même, sans qu’il soupçonnât seulement par quelles armes il pouvait le combattre. Avais-je quelque amitié pour lui ? Je ne crois pas. Il m’étonnait ; il m’effrayait aussi ; car j’entendais quelquefois mon père, en revenant du château, dire à ma mère :

— Jamais elle n’élèvera cet enfant ! Il lui faudrait une tout autre vie !…

Ce fut sur ses conseils pressants qu’ils résolurent enfin de passer un hiver en Italie. Mon père eut beaucoup de peine à les décider. Le colonel faisait opposition :

— Nous aurions l’air de fuir, répondait-il à toutes les bonnes raisons.

Quelquefois, il ajoutait :

— … Devant ces canailles !

Il entendait résister, lui, à ces lâches ennemis insaisissables, dont les coups portaient sans qu’on les sentît, qui tuaient de loin, avec des poisons sûrs, — résister en vaillant soldat, qui se laisse tuer sur une position désespérée. Mais sa conception de l’honneur, héroïque et médiocre, n’était point celle de la comtesse : mère avant tout, elle voulait conserver son fils ; peu lui importait l’opinion des autres,