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L’INNOCENTE






Il y a des amitiés de jeunesse sur lesquelles le temps passe sans les détruire : il les ralentit, il les attiédit, il les diminue ; il ne les tue pas. On peut rester des mois sans se revoir, sans échanger une lettre, sans rien savoir l’un de l’autre ; pourtant on se retrouve tel que si l’on s’était quitté la veille. Chacun a vécu sa vie, dont l’autre ignore les péripéties : et, dès la première poignée de main qu’on échange, c’est comme si l’on avait, côte à côte, traversé les mêmes épreuves, vaincu les mêmes obstacles, accompli les mêmes efforts. Précieuses et rares sont ces amitiés, que, seule, la mort dénoue, et qui ne se remplacent pas.

Telle est celle qui m’unit encore à Philippe Nattier. Elle date de notre quatorzième année : du lycée de B***, où le hasard nous fit entrer le même jour et nous plaça à côté l’un de l’autre. J’étais embarrassé par un thème latin, qui me semblait extrêmement difficile : étant plus « fort », il me vint en aide ; après quoi, nous passâmes deux ans sans nous quitter.